La convention n° 190 désigne par violence et harcèlement un concept composite unique qui couvre «un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques» au lieu de donner une définition fermée ou uniforme de ce qui constitue la violence ou le harcèlement dans le monde du travail.
Définitions
Article 1
- Aux fins de la présente convention:
- l’expression «violence et harcèlement» dans le monde du travail s’entend d’un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre;
- l’expression «violence et harcèlement fondés sur le genre» s’entend de la violence et du harcèlement visant une personne en raison de son sexe ou de son genre ou ayant un effet disproportionné sur les personnes d’un sexe ou d’un genre donné, et comprend le harcèlement sexuel.
- Sans préjudice des dispositions des alinéas a) et b) du paragraphe 1 du présent article, les définitions figurant dans la législation nationale peuvent énoncer un concept unique ou des concepts distincts.
Cette approche permet la flexibilité nécessaire pour couvrir les différentes manifestations de la violence et du harcèlement, y compris les nouvelles qui apparaissent progressivement (OIT 2018b). Elle permet également à l’expression «violence et harcèlement» de couvrir un large éventail de termes que l’on retrouve dans différentes lois pour décrire des phénomènes identiques ou similaires (voir figure 2). Ces lois reconnaissent souvent qu’il n’existe pas de distinction claire entre violence et harcèlement (OIT 2018b; 2019b).
La définition qui figure à l’article 1 a) comprend deux éléments. Le premier est la conduite interdite, qui englobe «un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques». L’emploi du mot «ensemble» précise que violence et harcèlement peuvent s’entendre comme englobant des conduites de nature différente, soit des comportements indépendants, soit une combinaison de comportements, y compris des comportements de plus en plus graves (OIT 2018b). Qu’elle se produise à une seule occasion pour être considérée comme de la violence et du harcèlement ou de manière répétée, dans tous les cas, cette conduite doit être «inacceptable» au regard de considérations subjectives et objectives (OIT 2019b). Pour être inacceptable, cette conduite doit «avoir pour but de causer, [causer] ou [être] susceptible de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique». L’inclusion du «dommage économique» aux côtés des dommages d’ordre physique, psychologique et sexuel garantit que toutes les formes de violence et de harcèlement sont englobées. Le dommage économique s’entend de la perte de revenu ou de dommages matériels, mais également des restrictions à l’accès à des ressources financières, à l’éducation ou au marché du travail, y compris de la restriction à la possibilité, pour une personne, de rester sur le marché du travail ou d’y progresser.
Figure 2. La violence et le harcèlement dans le monde du travail: un large éventail de termes
Cette définition n’inclut pas l’intention en tant qu’élément constitutif 5. De ce fait, la convention n° 190 adopte une approche pragmatique et centrée sur la victime qui met l’accent sur le caractère inacceptable de la conduite, des pratiques ou des menaces, ainsi que sur leur effet sur les victimes. L’absence de mention des auteurs dans le libellé de l’article 1 renforce le but de ces instruments qui est d’interdire toutes les formes de violence et de harcèlement dans le monde du travail, quelle qu’en soit la source, et:
- qu’elles soient exercées par ou contre une personne qui exerce l’autorité, les obligations ou les responsabilités d’un employeur (verticale),
- qu’elles soient dirigées contre un pair (horizontale), ou
- qu’elles impliquent des tiers, par exemple des clients, des patients, des passagers ou des usagers.
Si elle propose un concept unique couvrant la violence et le harcèlement, la convention n° 190 tient compte de la diversité des systèmes juridiques et approches réglementaires nationaux et permet aux États de choisir d’énoncer un concept unique ou des concepts distincts dans leurs définitions figurant dans la législation nationale (art. 1(2)), tout en veillant à ce que tous les éléments de la définition contenus dans la convention n° 190 soient respectés (OIT 2019e; 2019b). Cette disposition est directement liée à l’obligation qui découle de la convention, à savoir «[définir] et [interdire] la violence et le harcèlement dans le monde du travail» (art. 7). Cela est essentiel, car la législation jette les bases d’une culture du respect, y compris au travail, et peut déclencher un changement durable dans la société. En favorisant une culture de la dignité et du respect pour tous, la loi joue un rôle crucial dans la prévention et l’éradication de la violence et du harcèlement. Elle peut notamment orienter l’élaboration des programmes de prévention, favoriser la détermination précise des causes et des conséquences, garantir la tenue d’enquêtes et apporter une protection et un soutien aux plaignants.
Encadré 1. Exemples de définitions de la violence et du harcèlement dans les réformes législatives récentes
2.1.1. Violence et harcèlement fondés sur le genre
La notion de violence et de harcèlement énoncée à l’article 1 a) de la convention inclut expressément
«la violence et le harcèlement fondés sur le genre». En l’intégrant dans la définition générale de la violence et du harcèlement, les éléments de la conduite offensante et l’impact qui en découle ou l’effet visé s’appliquent également au concept de violence et harcèlement fondés sur le genre (OIT 2018b, paragr. 273) 6.
Pour plus de clarté, la convention définit l’expression violence et harcèlement fondés sur le genre comme
«la violence et le harcèlement visant une personne en raison de son sexe ou de son genre ou ayant un effet disproportionné sur les personnes d’un sexe ou d’un genre donné, et comprend le harcèlement sexuel» (art. 1 b)):
- La mention de la «personne» est importante, car elle élargit la définition de la violence fondée sur le genre par rapport à d’autres instruments internationaux et régionaux. Si la violence et le harcèlement fondés sur le genre touchent les femmes et les filles de manière disproportionnée – comme reconnu dans le préambule de la convention n° 190 –, la convention n° 190 vise à protéger tous les individus contre ces comportements 7.
- La mention du «sexe ou genre» rend les fonctions et caractéristiques biologiques qui différencient les hommes et les femmes (à savoir, le sexe) et les différences sociologiques entre les hommes et les femmes qui sont acquises et qui évoluent au fil du temps (à savoir, le genre) pertinentes au regard de la convention n° 190 et de la recommandation n° 206 (BIT 2012).
La définition de l’expression violence et harcèlement fondés sur le genre comprend expressément le «harcèlement sexuel». En tant que manifestation grave de la discrimination sexuelle et violation des droits de l’homme, le harcèlement sexuel a déjà été abordé avant l’adoption de la convention n° 190 dans le contexte de la convention (n° 111) de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 (BIT 2012; OIT 2020a; Cruz et Klinger 2011; OIT et ONU-Femmes 2019). Dans ce cadre, et d’après l’observation générale de 2002 de la CEACR, la définition du harcèlement sexuel contient les deux éléments clés suivants:
- Quid pro quo – tout comportement non désiré à connotation sexuelle s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, ou tout autre comportement fondé sur le sexe, ayant pour effet de porter atteinte à la dignité de femmes et d’hommes, qui n’est pas bienvenu, déraisonnable et offense la personne; et le rejet d’une telle conduite par une personne, ou sa soumission à cette conduite, utilisé de manière explicite ou implicite comme base d’une décision qui affecte son travail;
- Environnement de travail hostile – une conduite qui a pour effet de créer un environnement de travail intimidant, hostile ou humiliant pour une personne.
Encadré 2. Renforcement de la protection contre la violence et le harcèlement fondés sur le genre dans la législation liée au travail
Ces dernières années, de nombreux pays ont adopté des dispositions particulières dans les lois et réglementations liées au travail dans le but de définir la violence et le harcèlement fondés sur le genre et, en particulier, le harcèlement sexuel.
La convention n° 190 reconnaît que, pour prévenir pleinement et éradiquer la violence et le harcèlement fondés sur le genre dans le monde du travail, les pays qui la ratifient doivent en combattre les causes profondes que sont notamment les formes multiples et croisées de discrimination; les rapports de pouvoir inégaux fondés sur le sexe; les stéréotypes liés au genre; et les normes de genre, sociales et culturelles qui favorisent la violence et le harcèlement. En vue de combattre les causes profondes de la violence et du harcèlement fondés sur le genre, ainsi que d’en réduire les effets préjudiciables, la convention n° 190 plaide pour l’adoption d’une «approche tenant compte des considérations de genre». Le fait de tenir compte des considérations de genre s’entend du fait d’employer intentionnellement des considérations de genre pour modifier la conception, l’élaboration, la mise en œuvre et les résultats des programmes et stratégies, des politiques, des lois et des réglementations, ainsi que des conventions collectives. Une telle approche consiste à: refléter les réalités de toutes les filles et les femmes; accorder une attention à leurs besoins uniques; garantir leur participation à des processus de prise de décisions à tous les niveaux; valoriser leur point de vue; respecter leur expérience; et comprendre les différences de développement entre filles et garçons, femmes et hommes dans toute leur diversité et tout au long du cycle de vie. Le but ultime est de donner aux filles et aux femmes les moyens d’agir, en vue de promouvoir l’égalité de genre dans la pratique et de parvenir à l’équité de genre.
Violence domestique et monde du travail
De tout temps, la violence domestique a été reléguée au rang de question «privée», sans lien avec la sphère publique ou le monde du travail. De manière appréciable, la convention n°190 reconnaît les répercussions négatives que la violence domestique peut avoir en général sur le monde du travail, y compris s’agissant de l’emploi, de la productivité, ainsi que de la sécurité et la santé. Elle reconnaît également la contribution positive que les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent apporter pour atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail (préambule et art. 10 f)). La violence domestique peut représenter un risque particulier qui compromet la santé et la productivité de tous les travailleurs et autres personnes concernées, y compris les personnes qui exercent l’autorité, les obligations ou les responsabilités d’un employeur (OIT 2020b; BIT 2020). Certains lieux, situations ou cas liés au travail, en particulier ceux qui sont facilement accessibles au public, dont les écoles, les hôpitaux, les services publics ou les marchés de rue, peuvent être des lieux où se déchaîne la violence domestique. De la même manière, la violence domestique représente un risque encore plus accru pour des modalités de travail particulières telles que le travail à domicile, ainsi que pour certaines catégories de travailleurs, dont les travailleurs domestiques, les travailleurs qui exercent leur activité à domicile ou les travailleurs collaborant à l’entreprise familiale, nombre d’entre eux étant des femmes qui travaillent de manière informelle (OIT 2021b).
Préambule
Notant que la violence domestique peut se répercuter sur l’emploi, la productivité ainsi que sur la santé et la sécurité, et que les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent con- tribuer, dans le cadre d’autres mesures, à faire reconnaître les répercussions de la violence domestique, à y répondre et à y remédier;
Article 10
Tout Membre doit prendre des mesures appropriées pour: […]
f) reconnaître les effets de la violence domestique et, dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable, atténuer son impact dans le monde du travail;
Comme suite à ces dispositions de la convention, le paragraphe 18 de la recommandation n° 206 énonce une série de mesures qui pourraient être adoptées pour répondre à la violence domestique et en atténuer les répercussions, notamment:
- un congé pour les victimes de violence domestique;
- des modalités de travail flexibles et une protection pour les victimes de violence domestique;
- une protection temporaire des victimes de violence domestique contre le licenciement, selon qu’il convient, sauf pour des motifs sans lien avec la violence domestique et ses conséquences;
- la prise en compte de la violence domestique dans l’évaluation des risques sur le lieu de travail;
- un système d’orientation vers les dispositifs publics visant à atténuer la violence domestique, lorsque ces dispositifs existent;
- la sensibilisation aux effets de la violence domestique.
Encadré 3. Exemples de dispositions relatives au travail et à l’emploi reconnaissant les effets de la violence domestique dans le monde du travail et en atténuant l’impact
Ces dernières années, les pays ont de plus en plus pris en compte les effets de la violence domestique sur le bien-être et la productivité des travailleurs dans leurs dispositions relatives au travail et à l’emploi. Un nombre croissant de pays a introduit un congé, rémunéré ou non, pour les travailleurs victimes de violence domestique. D’autres pays ont inclus la violence domestique aux motifs de discrimination dans l’emploi et la profession et imposent aux employeurs de fournir des aménagements raisonnables. Certains ont envisagé d’obliger les employeurs à adopter des mesures de prévention visant à protéger le salarié ou d’autres travailleurs ou ont intégré la violence domestique dans le traitement de la SST. En outre, en vue de protéger des catégories de travailleurs spécifiques, par exemple les travailleurs domestiques, contre la violence et le harcèlement, certaines législations élargissent la définition de la «violence domestique» au-delà des relations familiales traditionnellement admises afin d’y inclure les personnes qui travaillent dans la sphère domestique.
Encadré 4. Exemples de conventions collectives et d’autres mesures luttant contre la violence domestique dans le monde du travail
Les partenaires sociaux sont également très actifs. Dans plusieurs pays, des conventions collectives ont été adoptées et d’autres mesures ont été prises en lien avec la violence domestique, y compris concernant la formation, des modalités de travail flexibles, un congé rémunéré et des services d’appui.
5 À ce propos, il convient de dire que, dans le cadre de la convention (n° 111) de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, la CEACR a déjà souligné que l’absence d’intention ou l’existence d’une intention ne devait pas être pertinente s’agissant des questions de harcèlement; voir BIT 2012.
6 Au cours du processus normatif, il était clair que l’expression «violence fondée sur le genre» incluait l’environnement de travail hostile et le harcèlement sexuel (quid pro quo). Toutefois, à des fins de cohérence avec le concept de violence et de harcèlement en tant qu’ensemble, et à la lumière de la vague de protestations et des débats publics récents liés à la campagne #MeToo qui ont mis en lumière l’ampleur du harcèlement sexuel, y compris au travail, il a été décidé d’ajouter une mention claire du harcèlement sexuel, tout en sachant que la violence fondée sur le genre comprend le harcèlement sexuel.
7 Voir Carlson et Olney, à paraître.
8 Nombre de provinces ou de territoires canadiens vont dans la même direction. Voir, par exemple, au Yukon, où l’article 19.05 du Règlement de 2020 modifiant le règlement sur la santé et la sécurité au travail dispose que, «si un employeur se rend compte, ou devrait raisonnablement se rendre compte, qu’un travailleur est exposé à la violence familiale sur le lieu de travail, ou risque de l’être, il doit prendre des mesures appropriées pour protéger le travailleur et toute autre personne sur le lieu de travail susceptible d’être affectée».
9 À titre d’exemple, voir l’accord d’entreprise de 2019 des journalistes de l’Australian Jewish News (Australie 2019). Depuis août 2018, les dispositions relatives à la violence familiale et domestique figurent dans les 122 décisions modernes australiennes (modern awards), avec une clause type relative à l’inclusion (Australie 2018).