L’article 10 de la convention n° 190 comprend une série de mesures fondées sur la pratique existante à l’échelle nationale que chaque pays pourrait mettre en œuvre ou renforcer selon la situation nationale. Afin de permettre et d’encourager le signalement de la violence et du harcèlement à un stade précoce, et de donner efficacement suite à ces plaintes, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 affirment des principes qui doivent être garantis quelle que soit la procédure concrète instituée au niveau national ou sur le lieu de travail, comme expliqué ci-après.
6.1.1. Garantir un accès facile, la sécurité, l’équité et l’efficacité
Les mécanismes de plainte peuvent être internes (au sein de l’entreprise) ou externes (par le ministère du Travail ou d’autres ministères compétents, le système judiciaire, les dispositifs sectoriels ou collectifs, les tribunaux ou cours spécialisés, l’inspection du travail, les organismes de règlement des différends, les organismes chargés des droits de l’homme et de l’égalité, ou d’autres organismes quasi judiciaires). Quel que soit le mécanisme, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 disposent que ces voies doivent être facilement accessibles, sûres, justes et efficaces 32.
La législation du travail, y compris les règles relatives à la SST et les conventions collectives, prévoit souvent des mécanismes de plainte internes et peut disposer que la plainte est examinée par le superviseur ou, si celui-ci est l’auteur présumé, par une autre personne.
Encadré 24. Garantir l’accès à la justice au niveau du lieu de travail
Récemment, des mesures ont été prises dans plusieurs pays pour prévoir des procédures expresses en cas de violence et de harcèlement, notamment la mise en place de comités internes spécifiques ou d’un système de signalement anonyme.
La conciliation, la médiation et l’arbitrage peuvent également être mis à disposition ou prévus lorsqu’une plainte est déposée en interne (par des procédures de règlement des conflits ou de plainte prévues par les conventions collectives) ou en externe (par une conciliation devant les tribunaux, la conciliation extrajudiciaire par des procédures autonomes, ou les systèmes d’administration publique). La pratique montre que différentes approches mettant davantage l’accent sur le fait de susciter un dialogue attentif et réactif en écoutant les deux parties semblent avoir raison de la nature accusatoire des modèles juridiques, améliorer la satisfaction du plaignant et réduire les représailles (Dobbin et Kalev 2020).
Encadré 25. Violence et harcèlement et accords de non-divulgation
Dans certaines juridictions, un nombre croissant de dispositions visent à venir à bout de la pratique qui consiste à inclure les différends liés à la violence et au harcèlement – et en particulier la violence et le harcèlement fondés sur le genre et la discrimination – dans le champ d’application des accords de non-divulgation. Ces accords contiennent généralement, entre autres dispositions, des dispositions relatives à la confidentialité et au non-discrédit mutuel, ce qui empêche les parties de parler des conditions du règlement et des circonstances l’entourant. Comme suite à plusieurs scandales qui ont défrayé la chronique, certains pays ont pris des mesures pour faire en sorte que les accords de non-divulgation ne soient pas utilisés pour réduire les victimes ou les lanceurs d’alerte au silence, quel que soit leur statut contractuel, si ces personnes affirment qu’il y a eu un comportement répréhensible, en particulier du harcèlement sexuel et d’autres formes de harcèlement fondé sur la discrimination. À ce propos, l’article 10 c) de la convention n° 190 dispose que les États qui ont ratifié la convention devraient «veiller à ce que les exigences en [matière de vie privée et de confidentialité] ne soient pas appliquées abusivement» (OIT 2019c, paragr. 828).
À titre d’exemple, en 2020, le service d’arbitrage Acas du Royaume-Uni a déconseillé aux entreprises et aux travailleurs d’utiliser des accords de non-divulgation pour empêcher quiconque de dénoncer le harcèlement sexuel, la discrimination ou le lancement d’alertes au travail (Acas 2020). Aux États-Unis, des dispositions ont été prises dans nombre d’États pour empêcher que les accords de non-divulgation ne soient utilisés à mauvais escient. Par exemple, dans le New Jersey, en vertu d’une loi entrée en vigueur en mars 2019, les employeurs ne peuvent plus appliquer les accords de non-divulgation liés aux plaintes pour discrimination, harcèlement et représailles contre un salarié en poste ou un ancien salarié (Avallone et Meade 2019).
Cette même année, l’État de New York a adopté un règlement disposant qu’un travailleur ne peut être lié par un accord conclu après le 11 octobre 2019 qui interdit au travailleur de révéler des faits de harcèlement ou le règlement d’une plainte pour harcèlement fondé sur toute catégorie protégée, sauf si le travailleur préfère se taire 34.
Ces dernières années, de nombreux pays se sont lancés dans des réformes législatives afin que les mécanismes de plainte externes en cas de violence et de harcèlement dans le monde du travail soient sûrs et faciles d’accès et qu’ils traitent l’affaire dans des délais appropriés, en particulier dans les cas de comportements fondés sur la discrimination.
Encadré 26. Renforcement des mécanismes de signalement et de règlement des conflits en dehors du lieu de travail
S’agissant de la violence et du harcèlement fondés sur le genre, la convention n° 190 dispose que les mécanismes de plainte et de règlement des différends doivent «tenir compte des considérations de genre» (art. 10 e)). Cela consiste notamment à concevoir des mécanismes judiciaires et non judiciaires assurément adaptables aux obstacles que rencontrent les victimes de violence et de harcèlement fondés sur le genre au moment de trouver des moyens de recours et de réparation efficaces et de réduire les effets préjudiciables de ces comportements interdits. La recommandation n° 206 contient des orientations supplémentaires: elle recommande que les tribunaux possèdent une expertise dans les affaires de violence et de harcèlement fondés sur le genre (paragr. 16 a)); que des conseils et une assistance juridiques pour les plaignants et les victimes, ainsi que des guides et autres moyens d’information, soient mis à disposition (paragr. 16 c) et d)); et que la charge de la preuve soit déplacée, s’il y a lieu, dans les procédures ne relevant pas du droit pénal (paragr. 16 e)).
Encadré 27. Signalement et mécanismes de règlement des différends tenant compte des considérations de genre: exemples
6.1.2. Protection avant, pendant et après le signalement ou le dépôt d’une plainte
La convention n° 190 reconnaît le droit des travailleurs de se retirer d’une situation de travail dont ils ont des motifs raisonnables de penser qu’elle présente un danger imminent et grave pour leur vie, leur santé ou leur sécurité, en raison de violence et de harcèlement. En outre, les travailleurs doivent être en mesure d’exercer ce droit sans subir de représailles ni autres conséquences indues, tout en ayant le devoir d’en informer la direction (art. 10 g)) 35. Cette protection figure dans les normes relatives à la SST connexes. En particulier, aux termes de l’article 13 de la convention (n° 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, «[u]n travailleur qui s’est retiré d’une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un péril imminent et grave pour sa vie ou sa santé devra être protégé contre des conséquences injustifiées, conformément aux conditions et à la pratique nationales».
Tout au long du processus de dénonciation, d’enquête et de règlement du différend, la convention n° 190 prévoit la protection de la vie privée et de la confidentialité, dans la mesure du possible et selon qu’il convient (art. 10 c)). La confidentialité des plaintes est essentielle pour protéger la vie privée du plaignant et de l’auteur présumé. Toutefois, la vie privée et la confidentialité ne doivent pas faire obstacle à une enquête. À ce propos, les États qui ont ratifié la convention doivent également «veiller à ce que les exigences en [matière de vie privée et de confidentialité] ne soient pas appliquées abusivement» (art. 10 c)).
Encadré 28. Garantir la vie privée et la confidentialité, ainsi que le droit de se retirer d’une situation préjudiciable
La convention n° 190 protège également contre toutes formes de victimisation ou de représailles contre les plaignants, les victimes, les témoins et les lanceurs d’alerte (art. 10 b) iv)). La protection des plaignants contre les mesures de représailles est essentielle pour un signalement, des procédures de plainte et des mécanismes de règlement des conflits sûrs et efficaces.
Encadré 29. Protection contre la victimisation et les représailles
6.1.3. Services de soutien
Parmi les mesures pouvant faciliter un signalement et des mécanismes et procédures de règlement des différends efficaces, la convention n° 190 mentionne «des mesures d’assistance juridique, sociale, médicale ou administrative pour les plaignants et les victimes» (art. 10 b) v)). Les services de soutien devraient tenir compte des considérations de genre, en particulier en cas de violence et de harcèlement fondés sur le genre (art. 10 e)). À ce propos, la recommandation n° 206 dispose ce qui suit:
Le soutien, les services et les moyens de recours et de réparation pour les victimes de violence et de harcèlement fondés sur le genre visés à l’article 10 e) de la convention devraient comprendre des mesures telles que:
- une aide à la réinsertion des victimes dans le marché du travail;
- des services de conseil et d’information fournis, selon le cas, d’une manière qui soit accessible;
- des permanences téléphoniques 24 heures sur 24;
- des services d’urgence;
- des soins et traitements médicaux ainsi qu’un soutien psychologique;
- des centres de crise, y compris des centres d’hébergement;
- des unités de police spécialisées ou des agents spécialement formés pour soutenir les victimes (paragr. 17).
Encadré 30. Exemples de textes législatifs et réglementaires fournissant protection et soutien aux victimes
6.1.4. Moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces
L’article 10 de la convention n° 190 impose aux États qui ont ratifié la convention de garantir des moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces. À ce propos, la recommandation n° 206 dispose que les moyens de recours et de réparation pourraient comprendre:
- le droit de démissionner avec une indemnisation;
- la réintégration dans l’emploi;
- une indemnisation appropriée du préjudice;
- des ordonnances exigeant que des mesures immédiatement exécutoires soient prises pour veiller à ce qu’il soit mis fin à certains comportements ou que des politiques ou pratiques soient modifiées;
- les frais de justice et les dépens, conformément à la législation et à la pratique nationales (paragr. 14).
En imposant des moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 appellent à un contrôle efficace de l’application des droits reconnus par la loi et des voies de recours légales qui, lorsque cela est approprié et possible, pourraient apporter restitution et réparation à la personne dont les droits ont été violés et pourraient avoir un effet dissuasif chez les auteurs potentiels. Ces moyens de recours et de réparation efficaces dépendent d’une série de facteurs, dont la gravité du comportement et les voies juridiques choisies par le plaignant dans chaque système juridique. La mention expresse de la «réintégration» ainsi que des «ordonnances exigeant […] qu’il soit mis fin à certains comportements ou que des politiques ou pratiques soient modifiés» souligne que, en cas de violence et de harcèlement, le versement de dommages-intérêts n’est pas adapté à la réparation du préjudice subi 36.
Dans le contexte des moyens de recours et de réparation efficaces prévus par la convention n° 190 et la recommandation n° 206, l’importance des prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles pour les victimes de violence et de harcèlement au travail est également reconnue. En particulier, la recommandation n° 206 dispose que «les victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail devraient pouvoir obtenir une indemnisation en cas de dommage ou maladie de nature psychosociale ou physique, ou de toute autre nature, ayant pour conséquence une incapacité de travail» (paragr. 15). Les blessures physiques et certains troubles mentaux sont des blessures indemnisables couvertes par les régimes d’assurance en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles et d’indemnisation des travailleurs si l’événement ayant causé la blessure ou la maladie naît de l’emploi ou survient pendant l’emploi. Ces régimes garantissent l’accès aux soins médicaux nécessaires et conseils, réadaptation et réintégration pour les travailleurs concernés. Ils prévoient également des prestations en espèces pour les victimes et leur famille (en cas de décès du travailleur), ce qui évite que la famille ne sombre dans la pauvreté et dans l’exclusion sociale en raison de la perte de revenu, de la perte de capacité de gain et du soutien au revenu, selon le cas (Chappell et Di Martino 2006; Lippel 2016; BIT 2018c).
Encadré 31. Moyens de recours et de réparation en cas de violence et de harcèlement au travail: exemples récents
6.1.5. Sanctions
L’article 10(d) de la convention n° 190 dispose que les pays qui l’ont ratifiée doivent «prévoir des sanctions, s’il y a lieu, en cas de violence et de harcèlement dans le monde du travail». Les sanctions renvoient aux conséquences des comportements inopportuns et leur nature dépend des circonstances, du comportement sanctionné et de la juridiction saisie ou de la voie juridique choisie. Les sanctions peuvent donc renvoyer aux mesures disciplinaires et aux autres sanctions civiles, administratives ou pénales, selon qu’il convient. La recommandation n° 206 précise que «[l]es auteurs de violence et de harcèlement dans le monde du travail devraient être tenus responsables de leurs actes et bénéficier de services de conseil ou d’autres mesures, lorsqu’il y a lieu, en vue d’éviter qu’ils ne récidivent et de faciliter leur réinsertion au travail, selon qu’il convient» (paragr. 19).
Encadré 32. Sanctions en cas de violence et de harcèlement au travail: exemples récents
32 Comme un groupe d’experts ayant participé à l’élaboration de la recommandation (n° 130) de l’OIT sur l’examen des réclamations, 1967, l’a fait valoir, «des procédures équitables et efficaces qui prévoient un examen ordonné des réclamations constituent une soupape de sûreté qui aide à prévenir l’éclosion de conflits plus sérieux. En outre, de telles procédures peuvent contribuer à la création d’un climat de confiance mutuelle entre la direction et les travailleurs, lequel est si nécessaire pour de bonnes relations professionnelles» (OIT 1964, paragr. 39). Si à ce jour aucun instrument de l’OIT ne contient de grands principes directeurs complets sur des systèmes de règlement des conflits efficaces, des orientations et des principes relatifs aux conflits individuels du travail figurent dans différents instruments, dont la recommandation (n° 92) sur la conciliation et l’arbitrage volontaires, 1951, et la recommandation (n° 130) sur l’examen des réclamations, 1967. Plus récemment, la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, a disposé que les peuples intéressés «doivent bénéficier d’une protection contre la violation de leurs droits et pouvoir engager une procédure légale, individuellement ou par l’intermédiaire de leurs organes représentatifs, pour assurer le respect effectif de ces droits» (art. 12). La convention (n° 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, dispose que tout Membre doit «prendre des mesures afin d’assurer […] que tous les travailleurs domestiques, seuls ou par l’intermédiaire d’un représentant, aient un accès effectif aux tribunaux ou à d’autres mécanismes de règlement des différends, à des conditions qui ne soient pas moins favorables que celles qui sont prévues pour l’ensemble des travailleurs» (art. 16). La recommandation (n° 204) sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, 2015, recommande également de garantir l’«accès effectif à la justice». D’une manière générale, et pour une analyse comparative sur ce sujet, voir Ebisui, Cooney et Fenwick 2016; BIT 2018b; OIT 2013.
33 Décret suprême n° 014-2019-MIMP.
34 Si le travailleur préfère se taire, trois étapes doivent être suivies: 1. la clause de non-divulgation doit être écrite dans un accord en anglais simplifié et, le cas échéant, dans la langue principale du travailleur également; 2. le travailleur doit disposer de 21 jours au moins pour étudier la clause de non-divulgation et de sept jours de rétractation, après signature; 3. après expiration de la période de rétractation, le travailleur et l’employeur doivent conclure un deuxième accord qui inclut la clause de non-divulgation et toute autre clause réglant la plainte pour harcèlement (Zweig 2020).
35 Il convient de mentionner le cas particulier des travailleurs, en particulier des travailleurs migrants, qui pourraient avoir davantage de mal à se retirer d’une situation préjudiciable, soit parce que leur visa est lié à leur employeur, qui peut l’annuler à tout moment, soit parce qu’ils perdraient leur logement et leur emploi (voir OIT 2021b). Naturellement, les domestiques migrants qui vivent avec leur employeur sont les plus vulnérables à cet égard. À ce propos, le paragraphe 7 de la recommandation (n° 201) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, se lit comme suit: «Les Membres devraient envisager de mettre en place des mécanismes destinés à protéger les travailleurs domestiques des abus, du harcèlement et de la violence, notamment: a) en créant des mécanismes de plainte accessibles pour que les travailleurs domestiques signalent les cas d’abus, de harcèlement et de violence; b) en assurant que toutes les plaintes pour abus, harcèlement et violence soient instruites et, s’il y a lieu, donnent lieu à des poursuites; c) en élaborant des programmes de relogement et de réadaptation des travailleurs domestiques victimes d’abus, de harcèlement et de violence, notamment en leur fournissant un hébergement temporaire et des soins médicaux.»
36 La CEACR souligne régulièrement l’importance de voies de recours et de réparation adéquates, y compris la nécessité d’accorder la réintégration, selon qu’il convient; voir BIT 2012; BIT 1996. À titre d’exemple, la CEACR considère que «[d]ans le cadre de la protection contre les représailles, lorsqu’une personne a été licenciée pour avoir déposé une plainte, la réintégration constitue normalement la réparation la plus appropriée» (BIT 2017, paragr. 328).
37 Pour plus d’informations, voir Association des commissions des accidents du travail du Canada, «Commissions».