Compte tenu de la large portée personnelle de la protection – qui inclut les personnes qui ne seraient pas couvertes par les dispositions de la législation du travail – et dans le but de garantir une protection efficace contre toutes les formes de violence et de harcèlement qui s’exercent «à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail», la convention n° 190 impose aux pays qui l’ont ratifiée d’adopter, «en consultation avec les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre» en vue de prévenir et d’éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail (art. 4(2)) (voir figure 3):
- Inclusive: renvoie à la large portée personnelle de la protection, ainsi qu’à la nécessité de garantir des consultations pour mieux saisir l’ensemble des différents besoins et réalités.
- Tenant compte des considérations de genre: impliquelanécessitédecombattrelescausesprofondes de la violence et du harcèlement fondés sur le genre ainsi que d’en réduire les effets préjudiciables.
- Intégrée: renvoie à la nécessité de combattre ce phénomène «dans la législation relative à la sécurité et à la santé au travail, à l’égalité et à la non-discrimination, et dans le droit pénal, le cas échéant» (recommandation n° 206, paragr. 2).
Ces dernières décennies, le droit pénal a longtemps servi de rempart contre la commission d’actes de violence et de harcèlement, en particulier de violence et de harcèlement physiques et économiques, notamment dans le monde du travail (Chappell et Di Martino 2006; BIT 2016a; BIT 2017; Lippel 2016).
Toutefois, sur la base du concept de violence et de harcèlement dans le monde du travail énoncé dans la convention n° 190 et la recommandation n° 206, le droit pénal à lui seul peut s’avérer insuffisant. Il incrimine la conduite jugée comme ayant dépassé un certain seuil de gravité, dont les agressions physiques (y compris sexuelles) ou les «actes immoraux» ou les menaces. Toutefois, cela pourrait ne pas suffire à couvrir le large éventail de comportements et de pratiques inacceptables qui constituent la violence et le harcèlement dans le monde du travail au regard de la convention n° 190 13. En outre, le droit pénal met l’accent sur la sanction des auteurs et non sur la fourniture de moyens de recours et de réparation efficaces aux victimes.
Avant l’adoption de la convention n° 190 et de la recommandation n° 206, plusieurs instruments nationaux ou branches du droit servaient de base réglementaire à la lutte contre la violence et le harcèlement au travail, notamment le droit constitutionnel, le droit relatif à l’égalité et à la non-discrimination, et les réglementations relatives à la SST.
En prévoyant un cadre réglementaire global au lieu d’imposer une seule façon de procéder, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 reconnaissent que ces cadres peuvent être façonnés selon les situations et systèmes juridiques nationaux (convention n° 190, art. 4(2); recommandation n° 206, paragr. 2). Toutes les situations ne seront pas nécessairement couvertes par toutes les lois et réglementations, mais il est important de voir s’il existe des lacunes lors de l’examen commun des lois et réglementations.
L’approche «intégrée» renvoie également à la nécessité de disposer de mesures sur: la prévention et la protection (convention n° 190, art. 7 à 9; recommandation n° 206, paragr. 6 à 13); l’application et les moyens de recours et de réparation (convention n° 190, art. 10; recommandation n° 206, paragr. 14 à 22); et les orientations, la formation et la sensibilisation (convention n° 190, art. 11; recommandation n° 206, paragr. 23). Chacun de ces éléments est essentiel. La prévention et la gestion des dangers et des risques n’aboutiront pas sans formation ni sensibilisation. De la même manière, des mécanismes de contrôle de l’application inefficaces et inopérants ne contribueront pas à inciter à renoncer à la violence et au harcèlement ni à prévenir de futurs cas de violence et de harcèlement.
Les éléments fondamentaux de cette approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre sont énumérés à l’article 4, puis développés dans le dispositif de l’instrument. L’article 4(3) dispose également que, lorsqu’il adopte et met en œuvre une telle approche, le pays qui a ratifié la convention doit reconnaître les fonctions et rôles différents et complémentaires des gouvernements, et des employeurs et travailleurs et de leurs organisations respectives, en tenant compte de la nature et de l’étendue variables de leurs responsabilités respectives.
Article 4
- Tout Membre qui ratifie la présente convention doit respecter, promouvoir et réaliser le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement.
- Tout Membre doit adopter, conformément à la législation et à la situation nationales et en consultation avec les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, qui vise à prévenir et à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Cette approche devrait prendre en compte la violence et le harcèlement impliquant des tiers, le cas échéant, et consiste notamment à:
- interdire en droit la violence et le harcèlement;
- garantir que des politiques pertinentes traitent de la violence et du harcèlement;
- adopter une stratégie globale afin de mettre en œuvre des mesures pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement;
- établir des mécanismes de contrôle de l’application et de suivi ou renforcer les mécanismes existants;
- garantir l’accès à des moyens de recours et de réparation ainsi qu’à un soutien pour les victimes;
- prévoir des sanctions;
- élaborer des outils, des orientations et des activités d’éducation et de formation et sensibiliser, sous des formes accessibles selon le cas;
- garantir l’existence de moyens d’inspection et d’enquête efficaces pour les cas de violence et de harcèlement, y compris par le biais de l’inspection du travail ou d’autres organismes compétents.
- Lorsqu’il adopte et met en œuvre l’approche visée au paragraphe 2 du présent article, tout Membre doit reconnaître les fonctions et rôles différents et complémentaires des gouvernements, et des employeurs et travailleurs et de leurs organisations respectives, en tenant compte de la nature et de l’étendue variables de leurs responsabilités respectives.
Figure 3. Approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre
13 À ce propos, bien que dans le contexte de la convention n° 111, la CEACR a souligné que les poursuites pénales ne suffisent pas en cas de harcèlement sexuel au travail, en raison du «caractère sensible de cette question, de la charge de la preuve qui est difficile à apporter, notamment s’il n’y a pas de témoin (ce qui est souvent le cas) et du fait que le droit pénal met généralement l’accent sur l’agression sexuelle ou les “actes immoraux”, et non sur l’ensemble des comportements constituant le harcèlement sexuel dans l’emploi et la profession» (voir BIT 2012).