La violence et le harcèlement dans le monde du travail
Guide sur la convention n° 190 et la recommandation n° 206
5.1. L’obligation faite aux employeurs de prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail
La convention n° 190 et la recommandation n° 206 disposent que les Membres doivent adopter une législation prescrivant aux employeurs de «prendre des mesures appropriées correspondant à leur degré de contrôle pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail, y compris la violence et le harcèlement fondés sur le genre» (convention n° 190, art. 9).
Article 9
Tout Membre doit adopter une législation prescrivant aux employeurs de prendre des mesures appropriées correspondant à leur degré de contrôle pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail, y compris la violence et le harcèlement fondés sur le genre, et en particulier, dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable:
d’adopter et de mettre en œuvre, en consultation avec les travailleurs et leurs représentants, une politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement;
de tenir compte de la violence et du harcèlement, et des risques psychosociaux qui y sont associés, dans la gestion de la sécurité et de la santé au travail;
d’identifier les dangers et d’évaluer les risques de violence et de harcèlement, en y associant les travailleurs et leurs représentants, et de prendre des mesures destinées à prévenir et à maîtriser ces dangers et ces risques;
de fournir aux travailleurs et autres personnes concernées, sous des formes accessibles selon le cas, des informations et une formation sur les dangers et les risques de violence et de harcèlement identifiés et sur les mesures de prévention et de protection correspondantes, y compris sur les droits et responsabilités des travailleurs et autres personnes concernées en lien avec la politique visée à l’alinéa a) du présent article.
Dans la plupart des pays, la législation impose aux employeurs de respecter le droit des travailleurs à l’égalité et à la non-discrimination, ainsi que de protéger la sécurité et la santé des travailleurs sur le lieu de travail. En outre, les travailleurs sont généralement tenus par la loi de respecter les réglementations relatives à la sécurité et à la santé. Dans certains de ces pays, la SST inclut implicitement ou explicitement les risques et les dangers qui peuvent entraîner violence et harcèlement. Dans certains pays, la violence et le harcèlement fondés sur le genre ou d’autres formes de harcèlement fondées sur la discrimination font l’objet de mesures préventives spécifiques. L’obligation de prévenir différentes formes de violence et de harcèlement et de protéger contre celles-ci est de plus en plus considérée comme une obligation autonome.
5.1.1. L’étendue de la responsabilité des employeurs
Même si ces deux qualificatifs ne sont pas définis dans la convention n° 190 ou la recommandation n° 206, il apparaît clairement que les employeurs ne peuvent pas être responsables des situations, circonstances ou personnes qui échappent à leur degré de contrôle. Une certaine flexibilité est prévue. Autrement dit, les mesures prises doivent être proportionnées aux moyens disponibles et raisonnables dans un contexte donné. Il incombe donc à chaque pays ayant ratifié la convention n° 190:
Les obligations au titre de l’article 9 devraient être lues à la lumière du concept de violence et de harcèlement tel que défini à l’article 1, du champ de protection établi à l’article 2, et en lien avec toutes les occasions énoncées à l’article 3. Toutefois, la responsabilité des employeurs est qualifiée sur deux plans: premièrement, les mesures prescrites doivent être «appropriées» et correspondre au «degré de contrôle» des employeurs; deuxièmement, elles doivent être prises «dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable» 24.
de définir les critères qui serviront à préciser le «degré de contrôle» des employeurs; et
d’évaluer les mesures à prendre et les moyens par lesquels ces mesures seront appliquées pour prévenir la violence et le harcèlement.
Encadré 18. Violence et harcèlement et responsabilités des employeurs
Albanie: l’article 32(1) du Code du travail (loi n° 136/2015) dispose que les employeurs sont tenus de respecter et de protéger la relation d’emploi en prenant toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité, la santé mentale et physique des salariés; prévenir le harcèlement moral et sexuel, et le faire cesser, par des sanctions appropriées; et prévenir tout comportement qui porterait atteinte à la dignité du salarié.
Chine: depuis 2020, le Code civil tel que modifié énonce de nouvelles obligations, y compris pour les employeurs, en ce qui concerne le harcèlement sexuel. L’article 1010 dispose ce qui suit:
Une personne qui a été harcelée sexuellement contre son gré par des propos tenus oralement, par des écrits, par des images, par des actes physiques ou par des agissements similaires, a le droit de traduire en justice civile l’auteur de ces actes, conformément à la loi. Les organismes publics, les entreprises, les écoles et d’autres organisations doivent prendre des précautions raisonnables, accepter et entendre les plaintes, enquêter et traiter les cas, et prendre d’autres mesures similaires pour prévenir le harcèlement sexuel commis par une personne qui tire avantage de sa position et de son pouvoir, ou d’une relation supérieur/subordonné, et d’une situation similaire, et le faire cesser.
France: depuis le 1er janvier 2019, les entreprises d’au moins 250 salariés doivent nommer un référent chargé d’orienter, d’informer et d’aider les salariés dans la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (référent «lutte contreleharcèlementsexueletlesagissementssexistes») 25.
Niger: l’article 122 du décret n° 2017-682/PRN/MET/PS portant partie réglementaire du Code du travail dispose ce qui suit: «L’employeur doit prendre touteslesdispositionsnécessaires en vue de prévenir les agissements du harcèlement sexuel.»
Portugal: le Code du travail, tel que modifié par la loi n° 73/2017 du 16 août 2017, renforce le cadre législatif de prévention du harcèlement, notamment en introduisant l’obligation faite aux entreprises de plus de sept salariés d’adopter un code de bonne conduite sur le harcèlement sur le lieu de travail (art. 127(1) k)) et d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de tout salarié chaque fois qu’une allégation de harcèlement au travail est révélée (art. 129(1) l)). En 2018, un Guidepourl’élaborationducodedebonneconduitepourlapréventiondu harcèlement autravailetlaluttecontrecephénomènea été publié (Coelho et al. 2018).
Porto Rico (États-Unis): l’article 5 de la loi n° 90 de 2020 énonce ce qui suit:
Un employeur qui se livre au harcèlement sur le lieu de travail, y incite ou le permet est civilement responsable à l’égard des personnes touchées. Il incombe à tout employeur de prendre les mesures nécessaires pour éliminer ou réduire au minimum le fait de harcèlement sur le lieu de travail. Par conséquent, tout employeur doit adopter et mettre en œuvre les politiques internes nécessaires pour prévenir, décourager et éviter le harcèlement dans le milieu de travail sur ses lieux de travail, ainsi que pour enquêter sur toutes les allégations et imposer les sanctions correspondantes le cas échéant.
Roumanie: l’article 2 de la loi n° 202 de 2002 sur l’égalité de chances et de traitement entre les femmes et les hommes, telle que modifiée en 2015 et en 2018, dispose que les institutions et autorités publiques locales et centrales, civiles et militaires, de plus de 50 salariés, ainsi que les entreprises privées de plus de 50 salariés, doivent nommer un salarié auquel sont attribuées les tâches relevant du domaine de l’égalité de chances et de traitement entre femmes et hommes, dont la prévention du harcèlement au travail et la lutte contre ce phénomène.
Arabie saoudite: l’article 5(1) de la loi de 2018 contre le harcèlement dispose ce qui suit:
Les autorités compétentes du secteur public et du secteur privé doivent mettre en place les mesures nécessaires pour prévenir et combattre le harcèlement dans leur propre environnement de travail, qui doivent comprendre:
un mécanisme de plaintes interne dans le secteur;
les procéduresnécessairespour établir la véracité et la gravité des plaintes tout en préservant leur confidentialité;
la diffusionetlacommunicationde ces mesures aux personnes qu’elles ciblent.
Ledit article dispose également ce qui suit: «Les autorités compétentes du secteur public et du secteur privé doivent demander des comptes, en termes disciplinaires, à toute personne visée par les mesures prévues qui contreviendrait à toute disposition énoncée dans la présente loi, conformément aux procédures établies.»
Initiatives menées par les partenaires sociaux et les entreprises
Équateur: la Chambre des industries et de la production (CIP) a élaboré plusieurs mesures contre la violence fondée sur le genre. En particulier, en octobre 2020, elle a lancé une campagne globale sur la prévention et l’élimination de la violence contre les femmes au travail, à la maison, à l’école et dans la société («Másunidas,másprotegidas»). De nombreuses entreprises membres de la CIP ont également adopté des codes de bonne conduite/de déontologie qui interdisent toute forme de violence ou de harcèlement à l’égard des femmes au travail (Portal Diverso 2020).
Inde: la compagnie de bus Bengaluru Metropolitan Transport Corporation a créé un comité pour la sûreté des femmes avec des membres de l’association des usagers, des organisations de la société civile et de la police. Après une étude auprès des usagers des bus, la compagnie a installé des camérasdetélévisionen circuit fermé dans les bus et les gares routières. Elle a également organisé une formation sur la question du genre à l’intention des conducteurs et a cherché à recruter et à former des conductrices dans le but notamment de combattre la violence et le harcèlement fondés sur le genre (Social Development Direct 2020a).
Japon: établi au début des années 1950 par des syndicats et des coopératives de consommateurs qui souhaitaient permettre à leurs membres d’accéder à des financements, à une époque où les travailleurs étaient exclus du secteur financier, Rokin Banks est un réseau de 13 institutions financières coopératives menées par des syndicats qui opère dans tout le Japon. Il compte plus de 51 000 organisations membres qui représentent 11 millions de personnes, essentiellement des travailleurs, dont des travailleurs à faible revenu (Kurimoto, Koseki et Breda 2019). Rokin Banks a récemment élaboré et adopté les «Lignes directrices de Rokin concernant le harcèlement», qui apportent une protection contre toutes les formes de harcèlement, y compris le harcèlement par des tiers. La portée personnelle et matérielle de ces lignes directrices reflète les articles 2 et 3 de la convention n° 190. Ces lignes directrices octroient une large protection grâce à l’établissement de dispositifs internes en matière de signalement et de plainte, de moyens de recours et de réparation efficaces et de protection contre des représailles, d’un service de consultation pour les victimes et de mécanismes d’orientation vers les organismes spécialisés et les syndicats afin de garantir que toutes les formes de signalement de harcèlement sont centralisées et que les travailleurs ont facilement accès à ces services (Rokin Banks 2021).
Fédération de Russie: en janvier 2021, la plateforme russe de livraison de repas Yandex a ajouté de nouvelles conditions à sa politique. D’après ces nouvelles règles, la plateforme Yandex peut bloquer ou restreindre l’accès des usagers aux fonctions des services en cas d’agression d’un livreur ou d’impolitesse à son égard. L’entreprise prévoit d’offrir un conseil juridique aux livreurs qui seraient confrontés à de tels agissements (Khachatryan 2021).
Afrique du Sud: l’entreprise agricole Country Bird a mis en place une série de mesures visant à améliorer la sécurité physique et à réduire les risques de violence et de harcèlement fondés sur le genre pendant et après le travail. Après une série d’incidents, Country Bird a instauré un service de minibus pour les travailleurs après leur quart de nuit et augmenté le nombre de caméras de télévision en circuit fermé dans l’usine (Social Development Direct 2020c).
24 Il convient de noter qu’il s’agit d’un concept commun dans la législation relative à la SST qui apparaît effectivement dans la convention n° 155, dont l’article 4(2) dispose ce qui suit: «Cette politique [en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu de travail] aura pour objet de prévenir les accidents et les atteintes à la santé qui résultent du travail, sont liés au travail ou surviennent au cours du travail, en réduisant au minimum les causes des risques inhérents au milieu de travail, dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable» (BIT 1979).
25 Dans son guide pratique, le gouvernement français propose que le référent «lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes»: i) en mettant en place des mesures de sensibilisation et de formation pour les employés et les responsables; ii) en orientant les salariés vers les autorités compétentes (inspecteur du travail, médecin du travail, Défenseur des droits); iii) en instaurant des procédures internes visant à encourager le signalement et le traitement d’une situation de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes; iv) en conduisant des enquêtes internes après le signalement d’une situation de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes (France 2019).