La violence et le harcèlement dans le monde du travail
Guide sur la convention n° 190 et la recommandation n° 206
5.2. Adoption et mise en œuvre d’une politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement
Les pays qui ont ratifié la convention doivent notamment prescrire aux employeurs «d’adopter et de mettre en œuvre, en consultation avec les travailleurs et leurs représentants, une politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement» (art. 9). Il s’agit d’une stratégie clé pour promouvoir un environnement et une culture de travail exempts de violence et de harcèlement. Fondées sur les pratiques existantes et sur les éléments figurant au paragraphe 7 de la recommandation n° 206, ces politiques pourraient, par exemple, inclure l’engagement et la responsabilité de l’employeur eu égard au maintien d’un environnement sûr (paragr. 7 a) et c)); une définition de la violence et du harcèlement; et des exemples pertinents des comportements, conduites et pratiques interdits selon le contexte, le secteur et la profession.
Il est souhaitable que ces politiques établissent des programmes de prévention de la violence et du harcèlement qui, le cas échéant, contiennentdes objectifs mesurables (recommandation n° 206, paragr. 7 b)). Il est également souhaitable d’informer les salariés sur leurs droits et responsabilités, y compris les mesures disciplinaires qui peuvent dériver des violations de ces interdictions (recommandation n° 206, paragr. 7 c)).
Ces politiques devraient consister à encourager les salariés à signaler les comportements et les communications qui pourraient conduire à la violence et au harcèlement, en fournissant des informations sur les procédures de plainte et d’enquête et sur l’engagement de l’employeur à traiter tout incident en temps opportun et de manière efficace (recommandation n° 206, paragr. 7 d) et e)). À ce propos, il serait important que les employeurs s’engagent à protéger le droit des individus à la vie privée et à la confidentialité en le conciliant avec le droit des travailleurs d’être informés de tout danger, ainsi que leur droit de ne pas être des victimes ni de subir des représailles (recommandation n° 206, paragr. 7 f) et g)). Ces politiques devraient être régulièrement communiquées aux salariés (sous des formes accessibles selon le cas) et systématiquement appliquées.
Encadré 19. Dispositions juridiques imposant des politiques du lieu de travail relatives à la violence et au harcèlement
Ces dernières années, de nombreux pays ont adopté des dispositions imposant aux employeurs d’adopter une politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement, en tant que politique autonome expressément consacrée à la question de la violence et du harcèlement ou dans le cadre de leurs obligations découlant de leur devoir de fournir un lieu de travail sûr conformément aux règles de SST ou de leur devoir de garantir un lieu de travail exempt de discrimination.
Canada: depuis le 1er janvier 2021, les employeurs travaillant dans un secteur ou un lieu de travail sous réglementation fédérale doivent élaborer une politique de prévention du harcèlement et de la violence au travail avec le comité d’orientation, le comité du lieu de travail ou le représentant en matière de santé et de sécurité, selon la taille de l’employeur. cette politique devrait normalement:
préciser l’engagement de l’employeur à prévenir le harcèlement et la violence et à protéger les employés;
décrire les rôles des parties sur les lieux de travail relativement au harcèlement et à la violence en milieu de travail;
citer les facteurs de risque qui contribuent au harcèlement et à la violence en milieu de travail;
énumérer les formations que l’employeur offrira sur le harcèlement et la violence en milieu de travail;
définir le processus de règlement des plaintes que les employés doivent suivre s’ils sont témoins ou victimes de harcèlement ou de violence en milieu de travail;
indiquer la raison pour laquelle un examen et une mise à jour de l’évaluation du milieu de travail doivent être effectués;
inclure les procédures d’urgence à mettre en œuvre dans les cas suivants:
– lorsqu’un incidentconstitue un dangerimmédiatpourla santé et la sécurité d’un employé,
lorsqu’il existe une menace d’un tel incident;
expliquer comment l’employeur entend protéger la vie privée des personnes en cause à l’occasion d’un:
incident,
processus de règlement d’un incident;
décrire les recours dont peuvent disposer les personnes en cause dans un incident;
indiquer les mesures de soutien offertes aux employés; et
nommer la personne désignée pour recevoir les plaintes liées à la non-conformité de l’employeur au code ou au règlement (Canada, sans date).
France: l’article L1321-2 du Code du travail, tel que modifié en 2016, introduit l’obligation faite aux employeurs de disposer d’un règlement intérieur qui rappelle notamment «les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le présent code».
Kenya: la loi sur l’emploi dispose qu’un employeur de 20 salariés ou plus doit, après consultation avec les salariés ou leurs représentants, le cas échéant, publier une déclaration de politique générale sur le harcèlement sexuel.
Panama: en vertu de la loi de 2018 contre la discrimination, tout employeur, toute institution publique et privée et tout établissement d’enseignement est désormais chargé d’élaborer des politiques internes pour prévenir, éviter, décourager et sanctionner les actes discriminatoires tels que le harcèlement sexuel ou toute autre forme de harcèlement, l’intimidation sur le lieu de travail, le racisme et le sexisme.
Pérou: en juillet 2019, le Pérou a adopté une nouvelle loi qui impose aux employeurs d’adopter des politiques contre le harcèlement et des procédures d’enquête, de dispenser une formation contre le harcèlement, de mener des évaluations annuelles du risque de harcèlement sexuel et de mettre sur pied un comité chargé de la lutte contre le harcèlement sexuel ou de nommer une personne chargée de cette lutte, selon la taille de l’employeur (décret suprême n° 014-2019-MIMP).
Philippines: en vertu de l’article 17 de la loi de 2018 sur les espaces sûrs, les employeurs ou les autres personnes qui exercent une autorité, une influence ou un ascendant moral sur un lieu de travail sont tenus de prévenir, de décourager ou de sanctionner les agissements de harcèlement sexuel fondés sur le genre sur le lieu de travail. À cette fin, l’employeur ou la personne qui exerce une autorité, une influence ou un ascendant moral doit:
diffuser ou afficher dans un lieu visible une copie de la loi pour toutes les personnes sur le lieu de travail;
prévoir des mesures de prévention du harcèlement sexuel fondé sur le genre sur le lieu de travail, notamment des séminaires sur la lutte contre le harcèlement sexuel;
créer un mécanisme interne indépendant ou un comité sur la bienséance et les investigations auquel il incombera de traiter les plaintes pour harcèlement sexuel fondé sur le genre et d’enquêter dessus. il devra notamment:
garantir la confidentialité dans la plus grande mesure possible;
fournir et diffuser, en consultation avec toutes les personnes sur le lieu de travail, un code de bonne conduite ou une politique du lieu de travail.
Soudan du Sud: l’article 7(3) et (4) de la loi de 2017 sur le travail dispose ce qui suit:
Un employeur qui emploie 20 salariés ou plus doit, après consultation des représentants des employeurs, publier une déclaration générale sur le harcèlement sexuel.
Cette politique doit contenir, au minimum:
la définition du harcèlement sexuel […] et
une déclaration indiquant que:
tout salarié a le droit de travailler à l’abri du harcèlement sexuel;
l’employeur doit prendre des mesures pour garantir qu’aucun salarié n’est soumis au harcèlement sexuel;
l’employeur doit prendre les mesures disciplinaires qu’il juge nécessaires à l’endroit de toute personne sous sa direction qui soumet un salarié au harcèlement sexuel.
En outre, cette déclaration doit contenir des dispositions relatives à la confidentialité et à l’interdiction des représailles 26.
Ukraine: l’ordonnance n° 56 de 2020 du ministère de la Politique sociale a porté approbation des Lignes directrices relatives à l’inclusion, dans les conventions collectives, de dispositions visant à garantir l’égalité de chances et de possibilités pour les femmes et les hommes dans l’emploi. Ces lignes directrices recommandent que les conventions collectives contiennent des dispositions sur la lutte contre le sexisme, différentes formes de harcèlement, dont le harcèlement sexuel, le harcèlement moral et d’autres formes de comportement agressif sur le lieu de travail 27.
5.2.1. Le devoir de collaboration des travailleurs et de leurs représentants
La convention n° 190 rappelle le rôle que les travailleurs et les autres personnes concernées doivent jouer, en mentionnant leurs «responsabilités» eu égard à la politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement (art. 9 a)à d)). D’après le paragraphe 7 de la recommandation n° 206, les pays qui ont ratifié la convention «devraient, selon le cas, préciser dans la législation que les travailleurs et leurs représentants devraient prendre part à la conception, à la mise en œuvre et au suivi de la politique du lieu de travail visée à l’article 9 a) de la convention». Il y est en outre dit que cette politique devrait «préciser les droits et obligations des travailleurs et de l’employeur» (paragr. 7 c)). Les employeurs et les travailleurs ont des responsabilités en ce qui concerne la prévention de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, ainsi que le fait de s’abstenir de commettre de tels actes. Les travailleurs et les autres personnes concernées ont le devoir général de prendre soin de leur propre sécurité et santé, ainsi que de celles des personnes qui pourraient être touchées par leurs agissements au travail. En outre, les travailleurs et leurs représentants jouent un rôle essentiel en élaborant, avec les employeurs, une politique du lieu de travail relative à la violence et au harcèlement, compte tenu de leur connaissance du fonctionnement des opérations, des activités de l’entreprise et des menaces potentielles. Ils jouent également un rôle essentiel dans le respect effectif des dispositions de la politique (OIT 2020c).
Encadré 20. Dispositions relatives aux responsabilités des travailleurs
Certains pays adoptent des dispositions imposant expressément aux travailleurs de s’abstenir de violence et de harcèlement au travail.
Djibouti: comme suite aux modifications apportées en 2018, les articles 4 bis et ter du Code du travail disposent que tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral ou sexuel est passible d’une sanction disciplinaire.
Équateur: l’article 46 j) du Code du travail, tel que modifié en 2017, dispose que le travailleur n’a pas le droit de commettre des agissements de harcèlement sur le lieu de travail à l’égard d’un collègue, de l’employeur, d’un supérieur hiérarchique ou d’un subordonné.
Grenade: la politique nationale de 2019 sur la SST énonce notamment les responsabilités suivantes des travailleurs: «Coopérer avec l’employeur dans le domaine de la mise en œuvre de la loi, des réglementations ou des politiques relatives à la SST. Prendre les précautions d’usage et ne pas mettre inconsidérément en danger la sécurité ou la santé de soi-même ou d’autrui. […] Signaler les problèmes de santé et de sécurité, y compris les facteurs psychosociaux et le stress, les accidents, les incidents ou les accidents évités de justesse, liés au travail, au représentant pour la santé et la sécurité élu» (Grenade 2019, p. 14).
Mexique: en vertu de l’article 47 du Code du travail fédéral, l’employeur peut mettre un terme à la relation d’emploi quand un travailleur a commis un acte de violence, a insulté ou a maltraité des collègues, l’employeur ou sa famille, les dirigeants, des clients ou des fournisseurs.
Philippines: l’article 18 de la loi de 2018 sur les espaces sûrs dispose que:
Lessalariésetlescollaborateurssonttenus:
de s’abstenir de commettre des agissements de harcèlement sexuel fondés sur le genre;
de décourager la conduite de harcèlement sexuel fondé sur le genre sur le lieu de travail;
d’apporter un soutien moral ou social aux autres salariés, collaborateurs, collègues ou pairs victimes de harcèlement sexuel fondé sur le genre; et
de signaler les agissements de harcèlement sexuel dont ils ont été témoins sur le lieu de travail.
Fédération de Russie: le paragraphe 6 du point 7.2 du règlement intérieur sur le travail, qui figure à l’annexe 6 de la convention collective de l’Université RUDN pour 2019-2022, définit l’expression «violation massive des obligations professionnelles» comme tout harcèlement sexuel ou d’autre nature à l’endroit d’un étudiant, d’un collègue, ainsi que l’expression de menaces graves à leur encontre; l’insulte et l’humiliation à l’égard de la dignité d’un étudiant, y compris les cas de violence physique ou psychologique à l’endroit d’un étudiant. Cette disposition énonce le droit de l’employeur de prévoir des mesures disciplinaires à l’endroit du salarié en question, voire de licencier la personne qui a commis de telles violences pour violation massive répétée, si celle-ci est considérée comme étant un «travailleur pédagogique» (Université RUDN 2019).
26L’article 5 de la loi de 2017 sur le travail contient une définition du «harcèlement sexuel» selon laquelle ce comportement peut se traduire par les agissements suivants:
a) plaisanteries à caractère sexuel ou indélicates, propos obscènes, sifflets, propos crus, insultes, insinuations, gestes indécents et obscènes; b) commentaires avilissants sur l’anatomie d’une personne ou demandes persistantes de rendez- vous; c) demandes de faveurs sexuelles, questions sur la vie personnelle/sexuelle, propos suggestifs à connotation expressément sexuelle en échange de «récompenses»; d) contact physique non désiré, de quelque nature qu’il soit, y compris caresses, attouchements et baisers; e) affichages d’images pornographiques et suggestives et/ou d’objets sexuels; f) communications écrites, téléphoniques ou électroniques offensantes; g) exhibitionnisme ou vêtements indécents; h) agression sexuelle et viol; i) les avances sexuelles indésirables, les demandes de faveurs sexuelles ou le comportement physique à caractère sexuel constituent également du harcèlement sexuel.
27 Ces dispositions peuvent prévoir une procédure de plainte, le respect du principe de confidentialité et la protection contre les représailles, des règles disciplinaires, une stratégie de formation et la sensibilisation des salariés à ces questions.